Québec, il est temps qu’on parle du Fonds des générations

Beaucoup de choses ont été dites sur le dernier budget de l’État québécois présenté par son ministre des finances, Carlos Leitao. On a beaucoup parler de la diminution de la croissance des dépenses en santé et en éducation (dans ce domaine les coupes sont particulièrement sévères et inadmissibles). Enfin, un budget «équilibré», entend-t-on. Par contre, peu d’analystes (à ma connaissance seul Gérald Fillion de Radio-Canada en a parlé) ont mentionné l’impact des versements du Fonds des générations sur l’augmentation de la dette.

Cela vous semble paradoxal comme affirmation? Comment un fonds destiné à rembourser la dette peut contribuer à l’augmenter?

On vous dit dans les médias que le déficit pour l’année se terminant (2014-2015) sera de 2,3 milliards. C’est techniquement vrai. Sauf que si l’on déduit les versements au Fonds des générations le portrait des finances publiques est beaucoup moins noir. Avant les versements au Fonds des générations, on a constaté un surplus de 227 millions de dollars pour les sept premiers mois de l’exercice 2014-2015. Et si on fait le même exercice pour 2015-2016, où le versement au Fonds des générations monte à 1,9 milliard, on n’arrive plus au déficit zéro comme l’annonce le gouvernement, mais à un assez large surplus.

L’idée derrière ce «Fonds des générations» peut sembler logique en premier lieu. On met de l’argent dans ce fonds, on le place sur le marché, ce qui fera en sorte qu’il croitra plus vite que l’intérêt que l’on paie sur la dette. Le gouvernement espère tirer un rendement du fonds de  6,5%, alors qu’il paie environ 4% d’intérêt sur sa dette. C’est un peu le même principe que votre compte d’épargne, quoi.

Sauf qu’il y a deux problèmes majeurs.

Primo, si tout va bien sur les marchés, le truc fonctionne. Sauf que lorsque les marchés vont moins bien, on peut se mettre à perdre de l’argent au lieu d’en accumuler. C’est arrivé en 2008-2009. 326 millions sont disparus du fonds à cause de la crise financière. De l’argent qui aurait pu être dirigé directement sur le remboursement de la dette, ce qui aurait éliminé un peu de paiement d’intérêt (à peu près 13 millions) pour… toujours. Il y a donc un risque inhérent de pertes financières à placer cet argent dans le Fonds au lieu de le consacrer directement au remboursement de la dette ou tout simplement à équilibrer le budget de l’État.

Deuxio, mettre de l’argent dans le Fonds alors que l’on est en situation de déficit (ce que fait le gouvernement depuis plusieurs années), c’est d’ajouter aux 11 milliards de service de la dette que l’on paie collectivement chaque année. Tout ceci sans avoir la certitude que notre Fonds des générations sera assez performant pour compenser l’augmentation de ce service de la dette due aux emprunts supplémentaires faits par le gouvernement pour équilibrer son budget. On choisit, parce qu’on croit que le rendement du Fonds sera supérieur aux intérêts de la dette alors que l’on pourrait choisir d’utiliser cet argent pour être SUR et CERTAIN de rembourser notre dette et d’ainsi d’éliminer pour TOUJOURS une part des intérêts qui y sont reliés.

En fait, je crois personnellement que le Fonds des générations est un bidule avec une fin politique et non pas économique. Tout d’abord, on veut montrer à la population québécoise que l’on «fait quelque chose pour la dette». On est dans l’apparence d’agir ici. D’ailleurs, en 2012, le gouvernement affirmait que «les citoyens ne pourraient pas savoir, au fil du temps, de combien la dette est réduite grâce aux revenus dédiés». Comme s’ils n’étaient pas capables de le savoir autrement… D’autre part, étant donné que les contributions au Fonds des générations sont comptabilisés comme une dépense comme les autres, cela permet de noircir encore davantage le portrait des finances publiques québécoises. On se sert souvent du prétexte de la fragilité financière du gouvernement pour effectuer des compressions importantes, notamment dans le dernier budget en santé et plus encore en éducation. Avoir l’air encore davantage dans le «trouble» est donc très utile dans ce contexte.

Le 1,9 milliard de dollars que met le gouvernement cette année dans ce fonds… serait-il possible de s’en servir pour atténuer un tant soit peu les coupures à venir dans le prochain budget? Pourquoi couper dans un domaine comme l’éducation, si central à notre avenir économique, alors qu’on l’on fait au fond des surplus? Il faut sortir de l’idéologie à courte vue et avoir un débat sur l’utilisation que nous pourrions faire de ce fonds. Presque 7 milliards y sont en ce moment. On pourrait faire plein de belles choses avec cet argent, ne serait-ce que rembourser directement la dette, ce qui nous ferait économiser potentiellement 276 millions de dollars par année en intérêt à tout jamais. Ou encore investir dans l’économie verte, créant des emplois payants qui nous aideront entre autres à rembourser notre dette…

La fatalité en économie n’existe pas. Tout est question de choix.

P.-S. Je tiens aussi à mentionner l’immense biais idéologique de Leitao concernant les diminutions d’impôts et de «taxes sur la masse salariale» (nov’langue patronale pour désigner les cotisations à l’assurance-emploi, à la CSST ou au système de santé, par exemple) aux entreprises, sensées augmenter l’investissement. Le fédéral a tenté la même chose, mais cela ne s’est pas soldé par une augmentation de l’investissement, mais plutôt par une hausse des profits remis aux actionnaires ainsi que des ajouts aux liquidités dormantes des entreprises. Difficile de croire qu’un résultat différent se produirait au Québec.

Sources :

http://blogues.radio-canada.ca/geraldfillion/tag/fonds-des-generations/ (2 articles)

http://affaires.lapresse.ca/dossiers/budget-quebec-2012/201203/21/01-4507658-fonds-des-generations-un-travail-de-tres-longue-haleine.php

http://blogue.economistesquebecois.com/2013/01/09/que-penser-du-fonds-des-generations/

http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/economie/2012/01/25/011-ctc-baisse-impot-societe-pas-investissement.shtml

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